Faut-il bannir les jeux vidéos?
Les jeux vidéo : A bannir ?
M.Manard
Les jeux vidéos n'ont pas bonne presse. Parmi les nombreux effets délétères, la littérature scientifique relève des éventuelles blessures liées à la violence, une addiction et des difficultés émotionnelles, de socialisation ou encore des symptômes dépressifs [1], [2]. Sans renier ces risques, l'utilisation de jeux vidéos chez les enfants et les adolescents pourrait être nuancée. En effet, certaines études mettent également en évidence des effets positifs de l'utilisation de jeux vidéo [3]. Il est essentiel de comprendre tous les aspects du jeu, étant donné leur grande présence dans le monde de nos enfants. En effet, aux états-unis, 91% d'enfants et d'adolescents (entre 2 et 17 ans) jouent aux jeux vidéos [1].
L'étude des effets des jeux vidéos est assez complexe. Étant donné la grande diversité des jeux, conclure que les jeux vidéos sont néfastes ou bénéfiques pour la santé reviendrait à conclure que "les boissons" sont bénéfiques ou néfastes, tout cela doit se nuancer évidemment. Tout dépend du type et de la consommation en réalité. Enfin, il est bon de noter que généralement lorsqu'on parle de « gamer », on entend un.e joueu.r.se pratiquant plus d'une heure par jour [1].
Impacts intellectuels
Bénéfices cognitifs
Au niveau cognitif par exemple, l'utilisation de jeux vidéo de façon récréative permettrait de développer des compétences cognitives chez les enfants et les adolescents. Les bénéfices cognitifs toucheraient particulièrement les habiletés spatiales, de raisonnement, de développement de stratégies, de raisonnement mathématique, ou encore de résolution de problème [3]. Ces compétences dépendent notamment du type de jeu. Par exemple, les personnes mises en présence d'un jeu de tir vont développer plus de compétences spatiales en termes attentionnel et de raisonnement que des personnes jouant à un autre type de jeu. De façon très intéressante, les capacités développées au sein du jeu vidéo montrent un effet de transfert, donc sont observables dans les capacités de la vie courante. Ceci a donc par extension un impact potentiellement considérable étant donné que les aptitudes spatiales ont pu être associées à la réussite académique en sciences, technologie, ingénierie, et mathématiques ; domaines eux-mêmes associés à des carrières fructueuses [1].
Au niveau cérébral, des adaptations ont également pu être observées. En effet, les réseaux cérébraux dévolus au contrôle attentionnel (le réseau fronto-pariétal) sont moins actifs pendant une tâche complexe de détection de patterns chez les joueu.r.se.s régulier.e.s que chez les non joueur.se.s. Cet effet a alors amené à penser que ces individus auraient des facilités pour gérer ses ressources attentionnelles plus efficacement et pour filtrer plus correctement les informations non pertinentes [4].
En parallèle au développement de compétences spatiales, les jeux vidéo, dans leur ensemble, offriraient également un bénéfice au service du développement des capacités de résolution de problème. Par ailleurs, cette génération d'enfants du numérique font face à une nouvelle approche d'apprentissage, passant d'instructions explicites et linéaires (ex : par la lecture d'un manuel) à une approche par essai-erreur et de l'expérimentation [5].
Enfin, les jeux vidéo ont
également pu être associés au développement des compétences de créativité [6].
Néanmoins, plus d'études sont encore nécessaires pour déterminer les mécanismes
et les facteurs associés à ce lien observé ainsi que leur impact dans le monde
réel.
L'attitude face aux jeux
Les performances aux jeux semblent dépendantes de différents facteurs : genre, fréquence de jeu, ou type de jeu (action, aventure, éducation, stimulation, ..). C'est intéressant d'observer des différences d'attitudes de jeu selon le genre. Par exemple, les filles semblent plutôt adopter des stratégies d'observation (observer les autres jouer), d'exploration (évaluer les actions qui fonctionnent ou non) ou d'innovation (trouver de nouvelles stratégies) que les garçons, plus enclins à utiliser des techniques de répétition, des codes ou à demander de l'assistance [3].
Les stratégies semblent également
varier avec la fréquence d'exposition aux jeux et le niveau de développement.
En effet, plus la fréquence est basse, plus les stratégies de résolution
interne et d'essai-erreur sont utilisées [3].
Impacts psychologiques
Motivation
La motivation est au cœur du succès d'un jeu vidéo, amenant les utilisateur.ice.s à persévérer malgré les multiples échecs et savourer les réussites occasionnelles. Globalement, une motivation caractérisée par la ténacité et l'effort est associée au succès et à l'accomplissement [1]. Les réussites dans les jeux vidéos font office de renforcement de l'effort, ce qui pourrait maintenir les joueur.se.s dans leur zone proximale de développement (la zone optimale d'équilibre entre complexité et accessibilité d'un comportement [7]). Par ailleurs, l'attitude face à l'échec lorsque la compétence semble pouvoir être entrainée, comme c'est le cas dans les jeux vidéo, permet de prédire une meilleure performance académique [8], [9].
De plus, face aux échecs dans les
jeux vidéo, les participant.e.s rapportent généralement non pas des sentiments
désagréables mais au contraire une forme d'excitation, d'intérêt et de joie [10],
leur donnant envie de poursuivre le jeu pour réussir. Par ailleurs, une
relation semble observée entre la persévérance mise en place face à l'échec
dans les jeux vidéos et l'attitude dans le monde réel, par exemple dans la
persévérance pour la résolution de problèmes [9]. Évidemment, le style de jeu mais également les caractéristiques personnelles
des individus vont pouvoir influencer ces effets et d'avantages d'études seront
nécessaires pour comprendre finement l'impact du jeu vidéo sur la motivation.
Émotions
L'une des raisons principale pour les enfants et les jeunes de jouer à des jeux vidéos serait de provoquer des émotions agréables particulièrement intenses [11]. Ces émotions seraient au moins en partie attribuables à un état particulier où les participant.e.s se retrouvent en immersion dans une activité de récompense, impliquant un grand sentiment de contrôle et une diminution de la conscience de soi [12]. Cette sensation dite de « flow » a pu être associée à des conséquences positives chez les adolescents, comme de meilleures réussites académiques, une meilleure estime de soi, et moins d'anxiété. Cette hypothèse semble envisagée pour les jeux vidéos mais reste actuellement à évaluer d'un point de vue scientifique.
Notons évidemment que les jeux
vidéos n'impliquent pas que des émotions positives. En effet, jouer peut
également entrainer des sentiments de frustration, de colère, d'anxiété ou de
tristesse. Cependant, le contexte particulier du jeu vidéo semblerait pouvoir
favoriser la mise en place de stratégies adaptatives de régulation
émotionnelle, incluant l'acceptation, la résolution de problèmes et la
réévaluation cognitive, stratégies connues pour être parmi les plus efficaces
en gestion émotionnelle, entrainant moins d'affects négatifs, plus de support
social et moins de difficultés dépressives [13].
Des études plus directes sur le sujet seraient donc d'un grand intérêt, les
liens effectués en recoupant les différentes connaissances sur ces différents
domaines semblant fort prometteurs.
Aspects sociaux
De façon intéressante, les jeux vidéos ne sont pas (plus) des jeux solitaires, mais au contraire, impliquent de plus en plus une communauté, un partage social autour du jeu, qu'il soit compétitif ou collaboratif. Ce changement de paradigme implique alors que les jeux vidéos puissent enseigner des compétences prosociales, favorisant la coopération, le soutien, et les comportements d'aide [14] et ces comportements pourraient se transposer dans la vie réelle [15]. Intuitivement, il est assez évident de penser que ces comportements favorisant les contacts sociaux seraient mieux développés par des jeux par essence prosociaux et non violents. Or, cela ne semble pas être nécessairement le cas. Effectivement, le fait de jouer à des jeux pro-sociaux implique plus de comportements d'aide chez les enfants. Néanmoins, le même style d'observations sont faites pour les jeux violents. Ce qui semble influencer le développement d'un comportement d'aide et prosocial ou malveillant et antisocial est le caractère coopératif ou compétitif de la manière de jouer [16]. Plus spécifiquement, jouer à des jeux violents de façon coopérative va impliquer plus de comportements d'aide que de jouer à des jeux non violents et jouer à des jeux violents mais collectivement permet de réduire les sentiments d'hostilité par rapport à un jeu individuel [17]. Ainsi, les jeux violents joués de façon coopérative réduirait le développement de comportements d'agressivité [18], augmenterait les comportements prosociaux [14] même avec des personnes en dehors du groupe [19].
Conclusion
Les jeux vidéos sont partie intégrante de nos quotidiens. Connus pour de nombreux effets indésirables, ils ont souvent mauvaise presse. Pourtant, certaines études actuelles permettent de nuancer les choses. Les jeux vidéos semblent donc pouvoir être utilisés à bon escient, permettant de passer des moments agréables en famille, de développer des compétences sociales et cognitives. Accompagner les enfants dans leur découverte et la régulation de leurs habitudes de jeu et donc selon moi une nécessité afin de leur permettre de grandir sereinement en compagnie de ces outils qui feront partie de leur vie tôt ou tard.
Références
[1] I. Granic, A. Lobel, et R. C. M. E. Engels, « The benefits of playing video games. », Am. Psychol., vol. 69, no 1, p. 66‑78, janv. 2014, doi: 10.1037/a0034857.
[2] A. Lobel, R. C. M. E. Engels, L. L. Stone, W. J. Burk, et I. Granic, « Video Gaming and Children's Psychosocial Wellbeing: A Longitudinal Study », J. Youth Adolesc., vol. 46, no 4, p. 884‑897, avr. 2017, doi: 10.1007/s10964-017-0646-z.
[3] F. C. Blumberg, E. A. Altschuler, D. E. Almonte, et M. I. Mileaf, « The impact of recreational video game play on children's and adolescents' cognition », New Dir. Child Adolesc. Dev., vol. 2013, no 139, p. 41‑50, 2013, doi: 10.1002/cad.20030.
[4] D. Bavelier, R. L. Achtman, M. Mani, et J. Föcker, « Neural bases of selective attention in action video game players », Vision Res., vol. 61, p. 132‑143, mai 2012, doi: 10.1016/j.visres.2011.08.007.
[5] N. McGuigan, « From digital natives to digital wisdom: Hopeful essays for 21st century learning », J. Open Flex. Distance Learn., vol. 16, no 2, p. 43‑45, sept. 2012, doi: 10.61468/jofdl.v16i2.189.
[6] L. A. Jackson, E. A. Witt, A. I. Games, H. E. Fitzgerald, A. Von Eye, et Y. Zhao, « Information technology use and creativity: Findings from the Children and Technology Project », Comput. Hum. Behav., vol. 28, no 2, p. 370‑376, mars 2012, doi: 10.1016/j.chb.2011.10.006.
[7] L. S. Vygotsky, Mind in Society: Development of Higher Psychological Processes. Harvard University Press, 1980. doi: 10.2307/j.ctvjf9vz4.
[8] L. S. Blackwell, K. H. Trzesniewski, et C. S. Dweck, « Implicit Theories of Intelligence Predict Achievement Across an Adolescent Transition: A Longitudinal Study and an Intervention », Child Dev., vol. 78, no 1, p. 246‑263, janv. 2007, doi: 10.1111/j.1467-8624.2007.00995.x.
[9] M. Ventura, V. Shute, et W. Zhao, « The relationship between video game use and a performance-based measure of persistence », Comput. Educ., vol. 60, no 1, p. 52‑58, janv. 2013, doi: 10.1016/j.compedu.2012.07.003.
[10] M. Salminen et N. Ravaja, « Increased oscillatory theta activation evoked by violent digital game events », Neurosci. Lett., vol. 435, no 1, p. 69‑72, avr. 2008, doi: 10.1016/j.neulet.2008.02.009.
[11] R. M. Ryan, C. S. Rigby, et A. Przybylski, « The Motivational Pull of Video Games: A Self-Determination Theory Approach », Motiv. Emot., vol. 30, no 4, p. 344‑360, déc. 2006, doi: 10.1007/s11031-006-9051-8.
[12] J. L. Sherry, « Flow and Media Enjoyment », Commun. Theory, vol. 14, no 4, p. 328‑347, nov. 2004, doi: 10.1111/j.1468-2885.2004.tb00318.x.
[13] A. Aldao, S. Nolen-Hoeksema, et S. Schweizer, « Emotion-regulation strategies across psychopathology: A meta-analytic review », Clin. Psychol. Rev., vol. 30, no 2, p. 217‑237, mars 2010, doi: 10.1016/j.cpr.2009.11.004.
[14] D. R. Ewoldsen, C. A. Eno, B. M. Okdie, J. A. Velez, R. E. Guadagno, et J. DeCoster, « Effect of Playing Violent Video Games Cooperatively or Competitively on Subsequent Cooperative Behavior », Cyberpsychology Behav. Soc. Netw., vol. 15, no 5, p. 277‑280, mai 2012, doi: 10.1089/cyber.2011.0308.
[15] D. A. Gentile et al., « The Effects of Prosocial Video Games on Prosocial Behaviors: International Evidence From Correlational, Longitudinal, and Experimental Studies », Pers. Soc. Psychol. Bull., vol. 35, no 6, p. 752‑763, juin 2009, doi: 10.1177/0146167209333045.
[16] C. J. Ferguson et A. Garza, « Call of (civic) duty: Action games and civic behavior in a large sample of youth », Comput. Hum. Behav., vol. 27, no 2, p. 770‑775, mars 2011, doi: 10.1016/j.chb.2010.10.026.
[17] M. S. Eastin, « The Influence of Competitive and Cooperative Group Game Play on State Hostility », Hum. Commun. Res., vol. 33, no 4, p. 450‑466, oct. 2007, doi: 10.1111/j.1468-2958.2007.00307.x.
[18] M. Schmierbach, « "Killing Spree": Exploring the Connection Between Competitive Game Play and Aggressive Cognition », Commun. Res., vol. 37, no 2, p. 256‑274, avr. 2010, doi: 10.1177/0093650209356394.
[19] J. A. Velez, C. Mahood, D. R. Ewoldsen, et E. Moyer-Gusé, « Ingroup Versus Outgroup Conflict in the Context of Violent Video Game Play: The Effect of Cooperation on Increased Helping and Decreased Aggression », Commun. Res., vol. 41, no 5, p. 607‑626, juill. 2014, doi: 10.1177/0093650212456202.