Enfant et mensonge
Ouh le vilain mensonge !
M. Manard
Le mensonge est une capacité qui va se développer au cours de l'enfance selon évidemment le développement de capacités cognitives, mais également en regard du contexte socio-environnemental dans lequel l'enfant va évoluer [1].
En laboratoire, le mensonge est classiquement étudié avec une expérience au cours de laquelle les enfants sont mis en présence d'un jouet. L'expérimentateur demande alors à l'enfant de ne pas toucher au jouet pendant qu'il s'absente. Évidemment, la plupart des enfants ne peuvent résister à la tentation. Leur réaction à la question « as-tu pris le jouet ? » au retour de l'expérimentateur est ensuite étudiée afin de comprendre les mécanismes sous-tendant l'utilisation de mensonges. En moyenne, 80% des enfants ont tendance à mentir dans ce genre d'expérience, donc non, le mensonge n'est pas d'emblée pathologique et fait partie du développement cognitif et social normal de l'enfant [2].
Il est régulièrement observé que le mensonge se développe particulièrement aux alentours de 4 ans, l'enfant devenant apte à construire un mensonge dans différentes situations sociales [3]. Néanmoins, au cours du paradigme expérimental du jouet, environ 80% des enfants entre 2 et 3ans transgressent la règle et la plupart des enfants de 2 ans vont admettre spontanément l'avoir pris. Cependant, en grandissant, de plus en plus d'enfants nient avoir touché au jouet. Par contre, lorsque les questions s'accentuent, la capacité à maintenir le mensonge est assez faible, les enfants admettant l'avoir pris, prétendant qu'ils ne savaient pas que c'était de ce jouet là qu'il s'agissait [3].
Le mensonge est une capacité qui demande des ressources cognitives particulières, et notamment des ressources exécutives. Lorsque ces fonctions sont évaluées chez des enfants de 3 à 4 ans ayant également été soumis au paradigme de tentation-résistance décrit plus haut, il est observé que les capacités de contrôle inhibiteur étaient liées aux capacités de mentir. En d'autres termes, plus l'enfant avait un contrôle inhibiteur efficace, plus il avait tendance à mentir. Par contre, le maintien du mensonge était quant à lui lié aux capacités de contrôle inhibiteur mais aussi de planification [4].
D'ailleurs l'apparition de mensonges dits « stratégiques » permet d'observer l'impact du développement de ces fonctions exécutives. Par exemple, lorsque des enfants entre 3 et 5 ans participent à l'expérience de tentation-résistance avec le jouet mais en présence d'un témoin, les réactions des enfants à la question de savoir si ils ont pris le jouet vont s'adapter. En effet, alors que les enfants de 3 ans ne modulent pas leur réponse, les enfants de 4 et 5 ans vont ajuster leur décision de mentir selon la présence ou non d'un témoin [5].
D'ailleurs, ce mensonge est parfois réprimandé voire puni, alors que dans d'autres cas il va être utilisé par les adultes d'une façon socialement acceptable... Comment les enfants peuvent-ils s'y retrouver. On ne peut pas mentir et pourtant on ne peut pas dire que le cadeau de taty ne nous plait pas, ou on entend maman pester de rendre un service alors qu'elle est tout sourire avec la voisine, jurant que cela ne la dérange pas d'aller arroser les 200 orchidées de sa maison pendant que celle-ci est en vacances... Il s'agit alors d'un apprentissage complexe pour l'enfant, impliquant à la fois des développements cognitifs, sociaux, environnementaux, culturels, afin qu'il puisse comprendre les différentes implications d'un mensonge et les usages adéquats ou non [1].
Au-delà de cela, évidemment que le mensonge est un comportement qu'on préfère éviter chez nos enfants. Premièrement, pour minimiser la tendance au mensonge il est de bon ton d'être exemplaire en tant que parent et de ne pas mentir soi-même ou d'impliquer un enfant dans des mensonges. Par exemple, les enfants de 5 à 8 ans observant quelqu'un dire la vérité suite à une transgression avec une conséquence positive ou dire un mensonge avec une conséquence négative ensuite auront moins tendance à mentir à propos de leurs propres transgressions par rapport aux situations où ils observent une conséquence négative suite au fait de dire la vérité ou une conséquence positive après avoir menti [6].
Ensuite un autre facteur étudié scientifiquement qui me semble essentiel est le risque de punition. En effet, lorsque l'enfant est motivé à dire la vérité de façon interne (pour être fier de lui par exemple) et qu'il ne craint pas d'être puni, il sera moins enclin à mentir que ceux qui s'attendent à être punis [7]. Ainsi, punir un enfant pour lui apprendre l'honnêteté et l'encourager à dire la vérité ne semble pas une stratégie de socialisation efficace. Par ailleurs, lorsque des parents sont interrogés sur leurs réactions aux mensonges d'enfant, des différences sont observées entre des parents d'enfant au développement dit « typique » et des parents dont l'enfant (5-8 ans) présente une particularité développementale (diagnostic de trouble comportemental) impliquant une propension au mensonge. De façon intéressante les parents d'enfants avec trouble du comportement ont tendance à avoir plus de réactions punitives aux mensonges, à moins décourager la malhonnêteté de leurs enfants et à percevoir leurs enfants comme de plus grands menteurs que les autres. Ces observations sont particulièrement intéressantes pour proposer des accompagnements à la fois des enfants et des parents, car comme énoncé précédemment, la punition semble avoir tendance à augmenter le recours au mensonge, c'est donc un véritable cercle vicieux qui pourrait se mettre en place dans ces situations [8].
Bien que le mensonge fasse partie du développement normal de l'enfant, il devient problématique lorsque ce comportement devient récurrent et inapproprié. Les conséquences des mensonges récurrents sont importants, comprenant évidemment la perte de confiance et un impact sur les relations de l'enfant. Dans l'enfance, les mensonges chroniques peuvent être associés à un délai de développement de la conscience, des difficultés d'auto-régulation, des comportements anti-sociaux, de difficultés d'ajustement, et à des difficultés d'interaction avec l'environnement [2]. En cas d'inquiétude, évaluer les facteurs pouvant influencer le recours de l'enfant au mensonge me semble la priorité, avec
Conclusion
Le mensonge est une compétence à la fois socialement utile mais risquée. Son émergence dans l'enfance suggère un développement adéquat des capacités cognitives et sociales. Progressivement, les enfants vont comprendre les normes sociales encourageant à la fois l'honnêteté et les mensonges pro sociaux occasionnels [2]. Accompagner les enfants dans ce développement, les conscientiser, leur permettre de cultiver leur confiance en l'adulte pour ne pas craindre la réaction punitive, leur donner l'exemple, leur expliquer et les aider à auto-évaluer leurs comportements va permettre selon moi de favoriser une relation saine au mensonge et une auto-régulation naturelle de ces compétences.
Références
[1] V. Talwar et A. Crossman, « Liar, liar … sometimes: Understanding social-environmental influences on the development of lying », Curr. Opin. Psychol., vol. 47, p. 101374, oct. 2022, doi: 10.1016/j.copsyc.2022.101374.
[2] V. Talwar et A. Crossman, « From little white lies to filthy liars: the evolution of honesty and deception in young children », Adv. Child Dev. Behav., vol. 40, p. 139‑179, 2011, doi: 10.1016/b978-0-12-386491-8.00004-9.
[3] A. D. Evans et K. Lee, « Emergence of lying in very young children », Dev. Psychol., vol. 49, no 10, p. 1958‑1963, oct. 2013, doi: 10.1037/a0031409.
[4] A. M. O'Connor, V. W. Dykstra, et A. D. Evans, « Executive functions and young children's lie-telling and lie maintenance », Dev. Psychol., vol. 56, no 7, p. 1278‑1289, juill. 2020, doi: 10.1037/dev0000955.
[5] G. Fu, A. D. Evans, F. Xu, et K. Lee, « Young children can tell strategic lies after committing a transgression », J. Exp. Child Psychol., vol. 113, no 1, p. 147‑158, sept. 2012, doi: 10.1016/j.jecp.2012.04.003.
[6] P. Engarhos, A. Shohoudi, A. Crossman, et V. Talwar, « Learning through observing: Effects of modeling truth- and lie-telling on children's honesty », Dev. Sci., vol. 23, no 1, p. e12883, janv. 2020, doi: 10.1111/desc.12883.
[7] V. Talwar, C. Arruda, et S. Yachison, « The effects of punishment and appeals for honesty on children's truth-telling behavior », J. Exp. Child Psychol., vol. 130, p. 209‑217, févr. 2015, doi: 10.1016/j.jecp.2014.09.011.
[8] L. C. Malloy, A. P. Mugno, D. A. Waschbusch, W. E. Pelham, et V. Talwar, « Parents' Attitudes about and Socialization of Honesty and Dishonesty in Typically-Developing Children and Children with Disruptive Behavior Disorders », J. Abnorm. Child Psychol., vol. 47, no 2, p. 299‑312, févr. 2019, doi: 10.1007/s10802-018-0444-4.
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